De multiples obstacles

Les données fournies par le rapport EGAliTER, « Combattre maintenant les inégalités sexuées, sociales et territoriales dans les quartiers de la politique de la ville et les territoires ruraux fragilisés », publié le 19 juin 2014 par le Haut Conseil à l’Égalité femmes-hommes, confirment les constats des actrices et acteurs locaux, tout en leur apportant un éclairage nouveau. Nous reprenons ici certaines de ces données permettant de mieux comprendre et analyser les situations rencontrées sur le terrain.

 

1. Des inégalités sociales et sexuées renforcées

Les inégalités sexuées se retrouvent partout en France et dans tous les milieux sociaux. Elles sont toutefois particulières dans les quartiers prioritaires, par leur intensité et leurs spécificités. Trois raisons principales expliquent ces inégalités sexuées renforcées : une concentration de la pauvreté liée notamment aux inégalités en matière d’emploi, une plus forte prégnance de la répartition traditionnelle des rôles sociaux entre les femmes et les hommes et enfin un moindre accès aux services publics.

Dans les quartiers prioritaires, 25% des femmes peuvent être considérées comme vivant dans une situation de pauvreté, contre 20% des hommes du même territoire, et 10% des femmes et des hommes hors de ces quartiers.

Dans les quartiers prioritaires, près d’une femme sur deux se situe hors du marché de l’emploi. Parmi les femmes les plus touchées : les femmes immigrées ou héritières des immigrations et les jeunes femmes.

En se cumulant, les inégalités se renforcent. Les inégalités sociales et territoriales expliquent ainsi en partie l’accentuation des rôles traditionnels et des stéréotypes de sexe dans ces quartiers. Cette plus forte prégnance des représentations sexuées, de la répartition inégalitaire des tâches domestiques et des activités selon le sexe contribuent à la banalisation du non-emploi et de la précarité des femmes. « Chez les gens du quartier comme chez les acteurs sociaux, on finit par s’habituer à cette séparation. On oublie même que c’est différent ailleurs », constatait un animateur de La Duchère.

Le croisement des inégalités sociales, territoriales et sexuées n’est pas ou trop peu pris en compte. Cette triple inégalité subie par les femmes des quartiers prioritaires reste encore trop invisible. Ce n’est d’ailleurs qu’en 2014 qu’un travail institutionnel a été conduit au niveau national en adoptant à la fois une approche territoriale et une approche en termes d’égalité femmes-hommes.

 

2. La prégnance des mouvements extrémistes et obscurantistes

Les inégalités dont souffrent les populations les plus pauvres des quartiers prioritaires font le lit des extrémismes et des replis identitaires. Sous la poussée des extrémismes politiques et religieux, le risque de relativisme culturel, au détriment des droits des femmes, est réel. C’est pourquoi il est nécessaire d’articuler toute action contre les discriminations et les inégalités sociales à l’action pour l’égalité femmes-hommes.

 

3. Les violences faites aux femmes, un frein puissant à leur autonomie

Dans les quartiers prioritaires, 32% des femmes se sentent en insécurité dans l’espace public, contre 18% ailleurs. À cela s’ajoute une plus grande proportion de femmes victimes de violences conjugales. 3,8% de femmes victimes dans les quartiers prioritaires, contre 2,4% ailleurs. Plus leur niveau de revenus est faible, plus leur exposition aux violences est forte.

 

4. Les femmes moins diplômées, moins qualifiées et plus soumises à la concurrence professionnelle

Dans les quartiers prioritaires, les femmes sont plus souvent non-diplômées qu’ailleurs : 55,5% contre 12% au niveau national. Quand elles sont immigrées ou issues de l’immigration, elles ont de grandes difficultés à faire reconnaître leur diplôme. Or le diplôme reste un rempart contre le chômage.

Dans les quartiers prioritaires, 49% des filles scolarisées dans le secondaire suivent un enseignement professionnel, contre 27% des filles hors quartiers prioritaires. Elles sont ainsi plus souvent orientées vers des filières professionnelles actuellement peu qualifiantes (services à la personne, secteur sanitaire et social). Ces jeunes femmes sont aussi moins souvent en apprentissage que les garçons, ce qui pénalise leur insertion professionnelle.

Dans les quartiers prioritaires, les femmes occupent des emplois peu qualifiés. Dans près de 60% des cas, elles sont : employées de bureau, de commerce, personnel de service, personnel de catégorie C et D de la fonction publique. Or, ces métiers sont plus exposés au chômage et à des conditions d’emploi difficiles.

De plus, il y existe une concurrence entre femmes non qualifiées et femmes qualifiées (notamment pour les métiers de l’esthétique, du secrétariat et du commerce). Les hommes connaissent moins cette concurrence. Il est rare, par exemple, qu’un ouvrier du bâtiment peu qualifié soit mis en concurrence
avec un salarié diplômé.

 

5. Plus de femmes avec une faible maîtrise du français

Dans les quartiers prioritaires, les femmes connaissent des problèmes d’illettrisme et des difficultés à l’écrit plus marqués que les hommes, et que les femmes des autres quartiers. Elles sont 17% en situation d’illettrisme contre 5% des femmes hors quartier prioritaire. Comparativement, 14% des hommes des quartiers prioritaires sont illettrés contre 7% des hommes hors quartier prioritaire.

Dans les quartiers prioritaires, 29% des femmes et 25% des hommes rencontrent des difficultés à l’écrit (contre 10% des femmes et 11% des hommes hors quartier prioritaire).

Qu’une telle proportion de femmes connaisse des difficultés à l’écrit résulte notamment de la forte surreprésentation de la population immigrée dans les quartiers prioritaires : près de 20% de la population contre 10% en dehors. De plus, l’offre linguistique qui leur est proposée reste inadaptée. Elle articule peu l’enseignement de la langue et la découverte des métiers, et ne prend pas toujours en compte  les différents niveaux de maîtrise. Or, si les femmes immigrées sont nombreuses à rencontrer des difficultés, leur maîtrise de la langue varie selon qu’elles sont originaires ou non de pays francophones.

 

6. Des responsabilités familiales plus précoces et plus lourdes

Comme partout ailleurs, les femmes des quartiers prioritaires assument l’essentiel de la prise en charge des enfants et des tâches domestiques. Mais plus qu’ailleurs, elles doivent faire face aux freins liés à la garde des enfants, à la mobilité, etc.

Dans les quartiers prioritaires, 23,6% des femmes expliquent travailler à temps partiel pour pouvoir s’occuper des enfants ou d’un autre membre de la famille, contre 5% des hommes du même territoire. Les charges familiales pèsent davantage sur les femmes et compromettent concrètement l’exercice d’un emploi à temps plein.

Cette responsabilité pèse d’autant plus sur les femmes des quartiers prioritaires que, plus souvent qu’ailleurs, elles deviennent mères jeunes, assument seules la responsabilité de leur famille et vivent sous le seuil de pauvreté.

 

7. Une accessibilité aux services entravée

Alors que l’accès aux services publics, notamment aux services d’accueil de la petite enfance, constitue un élément d’appui essentiel pour les femmes les plus précarisées, cet accès est particulièrement compliqué par les difficultés de mobilité et l’enfermement des femmes dans une aire géographique restreinte.

 

8. Une utilisation des fonds publics en défaveur des quartiers prioritaires

Contrairement aux idées reçues, les quartiers prioritaires reçoivent moins d’argent public que les autres territoires. Dans son rapport de juillet 2012, la Cour des Comptes souligne que “les zones prioritaires restent aujourd’hui défavorisées dans les allocations de crédits au titre des politiques de droit commun” (éducation, emploi, santé, etc.).