Des inégalités cumulées

Les difficultés d’accéder à un emploi pour les femmes vivant dans les quartiers prioritaires amènent les actrices et acteurs de terrain à poser divers constats.

 

1. Un lourd cumul d’inégalités

Dans les quartiers prioritaires, comme sur le reste du territoire, les femmes assument, entièrement ou en grande partie, les tâches ménagères, les activités éducatives et les soins donnés aux enfants et aux autres membres de la famille. Ces responsabilités prennent un temps considérable sur la recherche d’un emploi
et de revenus financiers. Mais elles ne constituent pas le seul obstacle. En effet, la déqualification, le travail à temps partiel, les horaires atypiques ou éclatés et les contrats précaires maintiennent les femmes en situation de précarité. À cela s’ajoutent des inégalités sociales et territoriales.

Ce cumul d’inégalités constitue l’une des difficultés importantes à laquelle se trouvent confrontées les femmes des quartiers prioritaires. La discrimination à l’adresse, comme les autres formes de discrimination, peut favoriser un entre-soi d’isolement, entre femmes partageant une même expérience et des difficultés identiques. Ces facteurs d’isolement agissent avec d’autant plus d’acuité lorsqu’ils sont renforcés par un communautarisme qui s’appuie sur des codes dits culturels ou religieux pour justifier l’infériorisation des femmes et leur enfermement dans des rôles sexués.

 

2. Une prise en compte des difficultés spécifiques aux femmes, plus déclarative qu’effective

La majorité des actions d’insertion professionnelle cible un public mixte, tout en déclarant prendre en compte les difficultés spécifiques aux femmes dans l’accès à l’emploi. Cette volonté reste souvent au niveau de l’intention, non suivie d’effet ou de concrétisation pour les femmes. Le cumul des inégalités cité ci-dessus, l’impact du communautarisme ou des violences sur l’autonomie des femmes ne semblent pas suffisamment pris en compte et intégrés dans les freins de retour ou d’accès à l’emploi.

 

3. Des démarches d’accès à l’emploi complexes

S’insérer sur le marché du travail signifie s’inscrire à Pôle emploi, effectuer des démarches administratives, se déplacer, savoir identifier les annonces opportunes, adapter son CV et mettre en avant ses compétences les plus pertinentes, etc. La recherche d’emploi requiert de plus en plus l’acquisition d’une capacité d’analyse propre au jeu du recrutement, un langage particulier, susceptible de faire ressortir du lot un CV parmi des dizaines ou des centaines, et une affirmation de soi équilibrée lors des entretiens d’embauche. Chaque étape supplémentaire peut être source de remise en cause, de découragement et de perte de confiance. Cela est accentué lorsqu’on ne comprend pas les raisons de l’absence de résultat, et donc des échecs répétés, ces raisons pouvant relever de l’état du marché du travail, mais aussi de sa capacité à faire bonne impression, à convaincre ou pas.

Ce frein est d’autant plus important pour les femmes des zones prioritaires qu’elles connaissent un fort taux d’illettrisme ou de mauvaise maîtrise du français.

 

4. Un déclassement quasi-systématique pour les femmes migrantes

Pour les femmes migrantes, la recherche d’emploi est compliquée par les démarches de VAE (validation des acquis de l’expérience) ou d’obtention d’une équivalence de diplôme. Le processus d’obtention n’est pas simple, d’un point de vue administratif, mais aussi d’un point de vue psychologique.

En effet, une personne migrante doit souvent reprendre des études pour exercer en France une profession qu’elle a exercée parfois pendant plusieurs années, ou bien accepter une déqualification professionnelle, source d’humiliation et de frustration.

 

5. Une méconnaissance ou une connaissance insuffisante du français

Pour les femmes migrantes, la méconnaissance de la langue est d’autant plus compliquée à surmonter qu’elles se voient surtout proposer des cours d’alphabétisation générale, au lieu des formations à visée professionnelle proposées aux hommes migrants.

Or, à leur arrivée en France, ces femmes ont des niveaux très hétérogènes en langue française. Certaines n’en ont aucune connaissance. D’autres arrivent de pays francophones et parlent français. D’autres encore n’ont que quelques notions de la langue.

 

6. Des modes de garde insuffisants ou inadaptés

Dans le 9e arrondissement de Lyon, comme sur l’ensemble du territoire national, il est difficile d’obtenir une place en crèche. Ce contexte constitue un frein réel à l’emploi des femmes, tout particulièrement dans le cas des familles monoparentales – le plus souvent assumées par des femmes – ou des femmes nouvellement arrivées en France qui n’ont pas encore l’habitude de chercher des modes de garde extra-familiale.

 

7. Des quartiers enclavés, une mobilité territoriale réduite

Certains quartiers sont comme coupés du reste de la ville par une mauvaise desserte des transports en commun, par des lignes de bus ou de métro considérées comme peu sûres, ou encore par l’absence de borne permettant l’achat de tickets. De plus, les horaires de bus et de métro ne sont pas adaptés à la multitude d’emplois à horaires atypiques souvent proposés aux femmes, notamment aux emplois nécessitant de commencer à travailler avant l’ouverture des lignes de bus ou de métro, ou après leur fermeture. Ainsi, dans le quartier de la Duchère (9e arrondissement de Lyon), à partir de 8h du matin, en une heure de transport, 70% des emplois sont accessibles. Ce n’est plus le cas que pour 50% des emplois en partant à 6h du matin, et pour 25% des emplois situés dans les zones industrielles.

À cela s’ajoute la question du harcèlement de rue, extrêmement fréquent (100% des femmes en ayant été victimes sous des formes diverses) et du contrôle de la circulation des femmes dans le quartier, en dehors des heures ponctuées par les rythmes scolaires. Toutes ces situations entravent la mobilité des femmes, limitent leurs déplacements et parfois les isolent dans leur lieu d’habitation.

 

8. Des budgets insuffisants

Les structures d’insertion professionnelle ont souvent une longue expérience des actions et des partenariats. Leur problème principal reste le financement, ce qui les empêche d’agir plus efficacement contre l’isolement des femmes, ou encore de les rendre visibles dans les actions mises en place.

De plus, dans certaines structures, 30 à 50% des femmes accompagnées sont victimes de violences conjugales. Ces violences limitent leur action, leur capacité à répondre à la logique administrative et à la disponibilité nécessaire à la recherche d’emploi. Or, les structures qui les accompagnent manquent cruellement de budget pour traiter toutes ces questions efficacement et dans leur intégralité.